Audiovisuel & Ecritures

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Le soir, quand je rentre chez moi, Je voudrais bien que quelqu’un soit là pour moi.

Montparnasse !

Oui ! Vous allez me dire les gars que le décor n’est pas original, Hemingway l’a déjà utilisé et usé jusqu’à la corde. Oui et alors ? Ça c’est passé là et pas sur le boulevard Saint-Michel et encore moins sur le boulevard des Batignolles. Mais gardez vos flèches pour tout à l’heure, l’histoire que je vais vous narrer risque de vous intéresser. Si vous aimez les rencontres inattendues, agrémentées de soirées chaudes, vous allez être gâtés, et ce n’est pas dans les SAS ni dans les fleuves si peu noirs que vous risquez de trouver cela.

 

Donc cet après-midi, je remontais le boulevard Montparnasse, le côté noble celui de la Coupole, alors qu’elle le descendait. Je l’ai vue de loin. Son allure, sa mastication distinguée, sa démarche un peu déglinguée mais juste assez pour retenir mon attention, tout cela me rassurait, je ne la louperai pas.

 

Ça n’a pas raté, arrivée à ma hauteur, je lui décochais un sourire à la Redford auquel on ne pouvait rester insensible, d’ailleurs elle me sourit. Mais fière, elle continua son chemin. Cela ne me découragea pas le moindre du monde. J’adoptais ma démarche fatale, celle que pratiquait avec talent Le Travolta pris d’une fièvre « samediesque ». Au fait, vous avez pigé, au niveau culture, les States sont pour moi des références absolues autant littéraires, cinématographiques ou bien encore musicales. Pour appuyer la scène, les Bee-gees n’étaient pas loin.

 

Elle avançait vers la place du 18 Juin et j’eus l’impression que mon appel avait été entendu. Elle faisait semblant de regarder à droite puis à gauche, avant de traverser. Mais je savais que j’étais dans sa ligne de mire. Le feu était vert, mais cela ne la gêna pas, elle était prête à s’élancer dans le flot sauvage des voitures, comme elle s’élancerait à l’assaut des rayons des grands magasins lors des soldes. Je l’ai rattrapée et, d’une voix chaude et virile (et je ne dis pas ça pour me faire plaisir, c’est ma voix) je luis dis:

 

- Vous êtes trop jeune pour finir écrasée comme un King Burger !

- Vous avez autre chose à proposer ?

- Pourquoi pas un vrai dîner pour ce soir ?

- C’est mieux qu’un fast-food, bien que moins rapide !

- Ça nous permettra de prendre le temps de nous apprécier !

- Pas trop rapide cette fois-ci ?

- Pas plus que la vie qui nous offre des situations comme celles-ci : nous nous sourions et nous devrions nous oublier aussitôt, ce serait stupide non ?

- …

- Un peu cul-cul ce que je vous raconte non ?

- Non, pas tellement !

- Alors, face à Bébert, vers neuf heures ce soir !

- Peut-être !

- Donnez-moi une bonne raison pour refuser mon invitation ! 

 

Elle me sourit. Puis, déjà accoutumée à ma présence, elle agissait à son aise, en passant sa main sur mon visage, une barbe d’un jour le dénaturait.

 

- Si ce n’est que ça, j’ai toujours un jetable sur moi ! 

 

Sa main quitta mon visage non rasé et timidement :

 

- Oui ! dit-elle. 

 

Elle me décocha un dernier sourire et traversa. Je vis son dos s’éloigner et, quand je dis son dos, c’était pour rester politiquement correct. J’étais content.

 

Durant l’après-midi, j’étais distrait. Mes pensées n’étaient que pour elle. Si bien qu’à deux reprises, j’ai raté des ventes auprès de clients libidineux. Si je parle de libidineux, c’est qu’un beau gosse comme moi et travaillant à Montparnasse, plus précisément dans la rue de la Gaieté, ne peut œuvrer raisonnablement que dans un sex-shop. Je fournissais une dernière commande de préservatifs taille XL à un nain noir, quand le patron décida de fermer la boutique. En prenant une boite de préservatifs pour mon compte, je me mis à respirer profondément avant de quitter l’échoppe.

 

Rue du Montparnasse, les gérants des crêperies sortaient leurs tables, à la chaleur de la nuit à venir. Aux Montparnos, des cinéphiles avertis faisaient déjà la queue pour voir le dernier Stalone ou bien encore l’Eddie Murphy de la semaine. Le boulevard Montparnasse était toujours autant embouteillé. Ses trottoirs étaient envahis par une foule de jeunes noctambules, alors que des effluves de viandes rôties s’échappaient des échoppes de Gyros, pour titiller les narines des plus affamés; j’en faisais partie.

 

A l’approche de la place du 18 Juin, je constatais que j’étais très en avance. J’hésitais, allais-je m’installer à « La consigne » pour respirer ses petits plats mijotés, mais être à la vue de tous, si je choisissais sa terrasse non vitrée ? Ou bien le « Café Leffe », où le brouhaha de la salle et une bonne bière brune réchaufferaient mon âme ? J’optais pour le bar à bière, un peu éloigné du lieu rendez-vous certes, mais avec un champs d’observation plus large et une position plus discrète.

 

Dès mon entrée, je perçus ce bourdonnement continu et puissant des conversations impromptues de tous les chalands de cette brasserie. Pas de flipper, mais une machine vidéo qui devait sûrement cacher quelques jeux clandestins, simplement connus des habitués et du patron. Il y avait aussi un monitor vidéo qui diffusait un programme de jeu, auquel on ne pouvait échapper depuis quelques temps : le « rapido ». Il s’agissait, tous les dix minutes, de rêver de gagner un millier d'euros avec une simple mise de deux euros. Pourquoi pas ? A chacun sa drogue pour oublier son quotidien. Quelques jeunots, cravatés et costumés trois pièces, échappés des bureaux de la tour voisine, venaient se détendre autour de quelques demis sans faux col, en taquinant la serveuse au décolleté généreux, mais au contenu flétri. J’avais les yeux bloqués sur ce triste spectacle, et allez savoir pourquoi j’ai eu, à ce moment, envie de belles tranches de jambon fumé, alors que mon voisin me balançait en pleine gueule la fumée de sa cigarette maïs, un délinquant qu'aucun flic ne vint verbaliser. Un joueur venait de gagner plus que sa mise, sans avoir approché le gros lot. J’étais content pour lui, l’ambiance était plaisante, je m’y sentais bien. J’étais à deux doigts de me laisser tenter par un jambon lentilles et une bière brune, en me plongeant dans la lecture d’un vieux Frederick Forsyth: «L’alternative du diable». Le choix était difficile, mais je n’allais pas, après vous avoir fait saliver, vous laisser plantés là, mes gaillards. Je bus un demi de bière brune pour me donner du courage et sortis de la brasserie.

 

La chaleur de la nuit était étouffante. Est-ce que ma nuit sera aussi chaude ? J’en rougissais de plaisir à l’avance.

 

Elle était là, coincée entre le kiosque à bonbons et la devanture du couscoussier renommé. Impatiente, elle scrutait l’horizon, elle me vit et vint vers moi.

 

- J’ai failli partir, j’avais si chaud !

- Désolé, j’étais coincé par le résultat d’un rapido qui n’arrivait pas !

- Vous avez gagné ?

- Non, mais malheureux au jeu…

- Vous êtes joueur ?

- La vie nous force à l’être !

- Evidemment ! 

 

Je lui souris, en posant ma main sur son épaule dénudée. Nous remontions machinalement le boulevard Montparnasse. De temps en temps, elle me jetait de furtifs coups d’œil pour tenter de découvrir, sur ma face réservée, des lueurs de satisfactions lubriques. Patience ma petite, patience. Puis elle me lança :

 

- Je voudrais vous emmener dans un coin sympa que j’aime bien ! 

 

J’imaginais le genre : tentures rouges, chandeliers à chaque table, et serveurs en livrée : le théâtre italien de Paris que je ne connaissais que trop bien pour y avoir emmené nombre de jeunes femmes « intellos », lisant très souvent du Baudelaire. Ces jeunes femmes avaient une préférence pour la table la plus proche de la mini-scène, afin de profiter de l’art oratoire du patron et de ses comédiens de l’Arte, commandaient ce vin rouge fadasse italien pour donner dans le local folklorique et se pâmaient en déclamant, à l’attention du garçon, des « si signor ! Forza Italia ! » . Le dépaysement à moindre frais, rue spaghettis.

 

Mais non ! Elle m’amena dans un bar japonais. En kimono multicolore, un cuisinier nous invita à nous asseoir au fond de la salle, pour éviter la chaleur et les fumées du grill géant où il cuisinait ses brochettes. Une fois assise, son bustier négligé et ample s’affala sur son ventre plat pour laisser découvrir une poitrine ferme et aguichante. Elle sourit de l’effet que cette ouverture rebelle fit sur moi. Délicatement, elle passa sa main sur mon visage fraîchement rasé et appuya malicieusement sur le petit sparadrap, cachant une coupure toute aussi fraîche.

 

Ensuite, elle me fit boire un thé au jasmin, trop sucré à mon goût , qui avait pour fonction, d’après la belle, de nettoyer mon estomac afin de mieux déguster les sashimis, sushis et autres makis. Jus de sucre 1999, bouddha en culotte de soie. La jeune femme, en face de moi, engloutissait voluptueusement tous ces poissons crus avec un raffinement digne d’une comtesse, mais avec, aux pieds, de belles chaussures, achetées chez le Eram du coin. Son ensemble gris, rehaussé de pigments argentés, lui donnait une allure coquette, même si cet achat avait été effectué chez Tati, lors d’une période de soldes. J’avais apprécié la coupe de l’ensemble quand elle avait posé son petit cul, mignon au demeurant, sur la chaise, c’était signé.

 

Elle parla toute la soirée de tout et de rien, de sa mère, de son père, de son chien, de la chatte de son père. Elle mélangeait tout, mais avec un tel charme que tout cela m’importait peu. Quand mon couteau toucha ses baguettes, elle paniqua et embrouilla encore plus ses récits. Puis, sa contenance retrouvée, elle s’inquiéta de moi :

 

- Et vous ? 

 

Je me suis forcé à rester sur le même registre, je me mis à parler de tout et de pas grand chose, sans parler de moi, je réservais ça pour le dessert. J’allais tendrement poser ma main chaude sur sa joue rougie, quand le Kimono humain nous apporta une mousse coco et un citron givré, aussi jaune et givré que l’asiatique au sourire commercial. Nous nous mîmes à déguster les spécialités Artic en silence, tant nous étions émus, tant nos langues étaient gelées par les desserts à peine décongelés.

 

Une fois, la dernière cuillerée avalée, le «jap» nous apporta la douloureuse et deux verres de saké frappé. Et là, stupéfaction ! Elle sortit son chéquier. L’asiatique fut aussi choqué que moi. Les consommateurs de la table voisine avaient les yeux braqués sur moi. Par ce simple geste, elle venait de tout gâcher; l’ingrate. Des morceaux de seiche crue ne passèrent pas dans les gosiers d’européens délicats, des brochettes sur le grill furent brûlées, un amateur d’émotions fortes s’étouffa, en avalant une cuillère de gingembre confit. Pour lui être agréable, j’avais fait des efforts pour ne pas dégobiller tous ces poissons crus, pour boire son thé infect et voilà qu’elle m’offensait en sortant son chéquier. J’en avais tuées pour moins que cela.

 

Le jaune patron accepta son chèque, la mort dans l’âme. Il était à deux doigts de se faire Hara Kiri pour sauver mon honneur perdu. Honteux, plus que confus, je baissais la tête pour ne pas voir dans ses yeux tout le malheur du soleil levant. La nuit des morts vivants était tombée sur moi, avec tout le mal qu’elle pouvait affliger à de frêles natures comme moi. Elle a eu beau se pencher vers moi, en me susurrant qu’elle avait aimé les sushis et la mousse coco, puis apposer une bise sur mon sparadrap, et même si mon petit cœur s’affolait, elle avait été impardonnable. Un serveur servile nous apporta nos vestes et là retravail d’orfèvre; si j’avais eu un chapeau, j’aurais salué l’artiste. D’une main experte, digne d’un prestidigitateur de close-up, elle cala dans la main du serveur un billet de cinq euros qu’il s’empressa, outré, à soustraire de ma vue. Le chèque avait fait si mal qu’il fallait me préserver de ces petits outrages qui blessaient, sans aucune délicatesse, ma fierté de mâle. Oh oui, quel mal !

 

J’avais si mal que, d’un coup, j’ai réagi en macho brimé. La goujate, la félonne. Qu’as-tu commis là, inconsciente ! Mon cœur était enflammé, mes mains moites, mon sexe en éveil, quelle attitude t’a donc paru plus importante que mon amour offert ? Pourquoi as-tu voulu marquer l’expression de ta supériorité financière, alors que tout était si beau ?

 

Dans la rue, vexé, je me drapais de ma veste avec une dignité non feinte, comme un sénateur romain mouché par un plébéien. J’avais chaud, j’étais malade. Compatissante, elle voulut m’accompagner jusqu’à l’entrée de la bouche de métro. C’est ça, j’ai l’air si désemparé que cela ? Appelle le SAMU tant que tu y es ! Mais rien ne la désempara, elle continua à me parler de la soirée, tout en avançant avec moi vers le métropolitain: l’inconscience totale poussée à son extrême limite. Sur les marches du métro, elle me déclara sans ambages :

 

- J’ai passé une excellente soirée et je voudrais bien te revoir. Tu me laisses un numéro de téléphone ou celui de ton portable ? J’ai vu que tu en avais un et, comble de tact, tu l’avais mis en veilleuse, pour ne pas nous déranger. 

 

Ça va, ne te fatigue pas ! En plus de tout ça, tu n’as rien vu, tu n’as pas ressenti mon émoi. Je lui refilai une vieille carte de visite, qui ne correspondait plus à mes coordonnées actuelles. Je lui ai fait une bise sur la joue et je me suis mis à descendre les marches du métro. Dans le wagon, j’ai ressorti mon Forsyth: «L’alternative de la diablesse» avait été plus forte que moi. Je haïssais de toute mon âme les chéquiers des femmes, je haïssais leurs nouvelles aisance et liberté financières, je haïssais les nouvelles « Working girls », aussi mignonnes fussent elles, je haïssais la cuisine japonaise. Je détestais ma fierté mal placée. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



09/12/2014
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