extrait "Poignée de babioles"
Mon cher moi,
C’est avec émoi que je m’aperçois que je n’ai plus de nouvelles de moi. J’ai beau vivre intensément chaque moment sous le même toit, je ne me vois plus. Il y a longtemps que j’ai fait la grève des miroirs, longtemps que j’ai remplacé nos soliloques par de débiles programmes de télévision, longtemps que je ne pense plus à moi.
Pourtant, il y a une époque, pas si lointaine que ça, où ensemble nous prenions soin de moi, nous avions des idées sur tout et sur moi, tant et si bien que je me les racontais et que tu les écrivais, sans te passer de moi. Notre ego spirituel était à son apogée et notre imaginaire au faîte de la gloire, celle-ci justement qui auréolait mon surmoi pour le meilleur, en oubliant le pire.
Alors, secoue-moi, envoie-moi de mes nouvelles, parle-moi de moi et de tout ce qui me touche de près ou de loin, afin de retrouver en moi l’équilibre qui me manque par la perte de moi, en attendant une imprévisible perte de poids.
Dis-moi tout, je me rendrai la pareille afin d’être mon égal épanoui au lieu de devenir un simple tout à l’ego anémié. Je me bise.
Moi.
Autoportrait culinaire.
L’être humain, quel qu’il soit, est varié, inattendu, complexe et le décrire est assez difficile. Chacun se voit par rapport à ses aspects positifs, par rapport à ce qu’il fait ou aime le mieux. Je ne fais pas exception à la règle et, en fin gourmand gourmet, je vous ai concocté tout un menu.
Commençons par une véritable salade variée où tout se mélange : les couleurs et les saveurs, le sucré et le salé, le craquant d’un cœur de laitue ou d’une carotte ferme et le moelleux d’un haricot vert cuit. Il y en a vraiment pour tous les goûts. C’est un mélange de vivacité, de nonchalance, d’humeur, d’humour, de finesse, de sagesse, de folie, de rêve, de curiosité et d’imprévus. C’est la base du personnage, mon entrée en matière, mon hors-d’œuvre.
Le plat principal demande plus d’attentions. Imaginez une croûte alimentaire bombée et arrondie, d’une couleur chaume bien chaude, protégeant une viande rouge, bien tendre et saignante. Il faut pour me déguster s’armer de patience. La règle du jeu interdit de se jeter dessus comme un affamé, vous n’êtes pas chez le Macdo de service. Il faut prendre son temps, découper lentement la croûte avec délicatesse, pour en découvrir la tendreté de la viande qui réside dans cette carapace protectrice. Cette viande va vous réserver de belles surprises, car elle est piquetée d’herbes de malice, d’humour, de réserve attentionnée, d’enfance, de tendresse, imperceptibles à la vue et si présentes au goût. Mais parfois au détour d’une bouchée, gare au Tabasco ; il y a, de temps en temps, dans la saveur délicate de cette viande, des révoltes inattendues au palais, aussi brèves que fortes.
Et pour conclure ce repas, il n’y a rien de mieux, pour bien me cerner, qu’une omelette norvégienne. Dans ce dessert, se trouve ma nature timide et réservée qui varie selon les événements qui animent ma vie trépidante, mais précaire. On y découvre tout autant le chaud que le froid, la passivité que la passion, le calme que la tempête, l’humour que la mauvaise humeur. Mais tous ces points négatifs sont, comme ce délice, un amalgame qui n’a qu’un temps.
Alors, si ce menu vous tente, si la formule vous est plaisante, n’hésitez pas, dégustez-moi, vous ferez plaisir au chef.