Audiovisuel & Ecritures

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La belle vie Bécaud

(assistant-réalisateur)

Monsieur Gilbert Bécaud.

 

Nous sommes en Novembre/Décembre 1984, je débarque pour l’une des premières fois sur TF1 et notamment sur une émission régulière, animée par le ténébreux Sacha Distel, mariant de petits reportages sur les invités, dans des situations personnelles, et leurs prestations artistiques sur le plateau de l’émission. Professionnellement, j’ai suivi ainsi une journée de Catherine Lara qui nous a amené au palais des sports là où Johnny Halliday répétait son nouveau spectacle. J’ai passé une autre journée avec Marie-Paule Belle qui nous a présenté sa collection de téléphones. On a suivi France Gall au marché aux puces, car elle aimait bien chiner des tenues Kaki voire militaires et j’ai tourné différentes séquences avec d’autres personnalités.

 

L’épisode le plus comique de la série fut, sur une idée originale de l’invité, Gilbert Bécaud, de suivre l’artiste en train de faire du jogging de la porte Maillot, plus exactement de l’hôtel où la star avait élu résidence pour les besoins d’un gala à l’Olympia, en passant par les Champs Elysées et la Concorde, jusqu’aux portes du célèbre théâtre musical. Car si les autres artistes, que nous avions déjà enregistrés, vivaient à Paris ou en proches banlieues, ce n’était pas le cas de monsieur Bécaud, qui demeurait en province. Alors il fallait trouver quelque chose de particulier.

 

 

Comme l’idée venait du chanteur, tout le monde l’accepta. On y ajouta, pour donner une touche plus cocasse à l’aventure, l’assistance du voiturier de l’hôtel, allant accompagner, et en costume messieurs dames, l’artiste dans son périple sportif.

 

 

Seulement, la production avait décidé cela une semaine avant le jour déterminé. En cette fin de mois de novembre, le froid était certes vif mais supportable. Mais le fameux jour, la température était tombée, comme la neige la veille, bien bas. Il fallait maintenant s’exécuter. Et tout le monde le fit, tout autant l’équipe technique que la star chantante. La seule revendication de l’artiste, auprès de moi, fut de lui acheter, pour faciliter son fol exploit, un remontant alcoolique aux douces initiales J.W. L’accord fut conclu.

 

 

Il fallait voir M. Bécaud en jogging vert fluo, suivi par un digne voiturier en redingote grise, coiffé d’un chapeau haut de forme en feutre gris qui tenait, dans ses mains gantées en blanc, un attaché-case, se faufilait entre les voitures embouteillées, sous les regards ahuris des automobilistes. Peu perturbée par ce cirque, les cris des conducteurs, le froid, l’équipe mena à bien sa mission, par petites étapes de cinquante mètres de course. Car, en vérité, l’artiste et le voiturier, après leur court jogging, remontaient ensuite dans le car des techniciens, pour recommencer leur séance de footing un peu plus loin. Si le voiturier appréciait ce retour au chaud dans le car, notre artiste en profitait pour avaler une gorgée de whisky. A la fin du périple, on tourna quelques scènes à l’Olympia, pour voir l’artiste répéter avec ses musiciens. Tout le monde fut satisfait de l’ambiance du tournage. Du moins sur le moment, car une grande surprise nous attendait. Une mésaventure, déjà subie lors de missions différentes, se reproduisit.

 

De retour chez moi, alors que je m’apprêtais à préparer mon dîner, je reçois un coup de fil de mon cadreur, désemparé. A l’époque un grand nombre de tournages s’effectuait encore en film 16 mm inversible et pas encore en vidéo. Avec le froid, le moteur de la caméra avait eu des ratés et n’avait pas fonctionné à la bonne vitesse de défilement du film. Avec le bruit du trafic urbain rien n’avait filtré, tant et si bien qu’au développement, au grand étonnement du cadreur, il y eut un résultat attristant : tout le tournage effectué à l’extérieur était surexposé, toutes les images étaient quasiment blanches. Il fallait tout recommencer et il faisait toujours aussi froid.

 

 

Une fois prévenue, la productrice (Catherine Barma) paniqua, en poussant des cris d’effroi. Quand j’ai osé proposer de redemander à la star de refaire le tournage, elle m’a incendié, en prétextant qu’une star comme monsieur Bécaud n’était pas à notre disposition. J’ai insisté, ayant en tête par expérience que plus la personnalité est importante plus elle est facile à gérer, contrairement aux nouvelles starlettes médiatiques en tout genre qui se prennent à tort pour le centre du monde. En disant cela, je me rappelais l’épisode de tournage avec Monsieur Claude Nougaro.

 

Comme je l’avais prévu, à la grande surprise de ma productrice angoissée, l’interprète compatit à notre malheur et, sans se faire prier, recommença l’aventure, toujours accompagné du voiturier de l’hôtel. En revanche, il n’eut pas à me redemander de lui acheter son fameux réconfort moral et liquide, car j’avais devancé ses souhaits.

 

Toute l’équipe se plia de bonne grâce à l’enregistrement des séquences défaillantes. Le cadreur coupable se fit tout petit pour se faire pardonner. Il avait équipé sa caméra de deux blimps en mousse, sorte d’étuis rembourrés pour protéger l’engin du froid, afin que le moteur soit relativement au chaud et tourne à la bonne vitesse. Pour vérifier cela, il était plié en deux sur sa camé-ra, dans l’espoir de mieux entendre ronronner le moteur. Et juste pour cela, tout le reste de l’équipe technique se moqua de lui. Le voiturier bénéficia d’une seconde compensation financière pour sa belle prestation. La productrice était aux anges et aux petits soins avec la vedette. M. Bécaud était heureux, les séquences avaient été toutes tournées suivant son souhait et en prime il s’était bien réchauffé, en ingurgitant quelques gorgées de J.W., bien nécessaires pour mener à bien son jogging. Ravi et me trouvant sympathique, l’artiste m’offrit, en guise de récompense, deux places pour son spectacle. Mon amie et moi-même en profitâmes, avec ravisse-ment, quelques soirs plus tard.

 grosse pleine lune sur paysage de neige.jpg

 



02/01/2024
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