Audiovisuel & Ecritures

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Le cauchemar revient

CHAPITRE 1

 

Allemagne, Hambourg,

 

La belle nordiste s'éveillait mollement, se trémoussait, se secouait ; comme toutes les villes du monde au lever du petit matin crayeux. Les cris stridents des oiseaux de mer soulignaient le regain d'activités sur les quais du port. Les appontements, encore enrobés par une langue de brume, semblaient surgir du néant. L'horizon, bouché par un épais brouillard, restait dans le domaine des limbes.

 

Les dockers commençaient à s’activer dans un ballet incompréhensible pour un observateur novice. Les craquements des coques, gémissantes carcasses, effrayaient par leur brutalité cinglante.

 

Glissant d’un pas silencieux et majestueux, la silhouette d'un énorme cargo déchira ce rideau brumeux. Tenu en laisse par de longues ralingues, guidé par un minuscule escorteur, il fendit le linceul blafard, vaporeux et froid. L'imposant navire arbora une proue d’un blanc délavé et rouillé, s’approchant des bittes d’amarrage, sagement alignées sur les abords du port. Dans un concert de cris et d’ordres, braillés sur des airs aux accents gutturaux, des hommes s’affairaient pour le fixer au quai, dans l'espace lui étant dévolu.

 

Au delà du port, les rues renaissaient, animées déjà par des klaxons nerveux, des accélérations rageuses et des vrombissements arrogants, pour apeurer le piéton matinal.

 

Mais dans cette ambiance habituelle, un drame s’annonçait. En courant, une jeune femme s'échappait de la pesanteur moite des rues. Telle une furie au souffle court, elle zigzaguait sur le trottoir. Sans se soucier de l’animation fébrile de la rue, elle courait à en perdre haleine, pour échapper à un violent cauchemar. Son cœur battait la chamade. Lors de quelques rares et précieuses secondes de pause, elle scrutait les environs pour rechercher son invisible chasseur. Elle hésita un court instant, puis se dirigea vers une cabine téléphonique, située à une vingtaine de foulées d’elle, proche d'une imposante église, sur l’autre trottoir. La jeune femme, en traversant en trombe, manqua de se faire renverser. Malgré les insultes du chauffard, elle continua sa course, longeant le bâtiment religieux.

 

Au-delà des murs, Un chant liturgique monta crescendo. Le Te deum se propagea par bribes avec une telle force qu’il arriva à gommer les bruits de la rue, notamment les semelles de la pourchassée sur le trottoir, au revêtement inégal.

 

Éclairés par la faible lumière matinale, les vitraux semblaient animés par une aura cosmique, alors que les enfants de la chorale reprenaient à l’unisson le cantique divin. Dans sa course folle, la jeune femme l’entendait. Lui annonçait-il quelque chose de définitif, de fatal ? Les enfants, pris par leur ferveur, pensaient-ils sublimer l'instant critique d'un drame ? En tout cas, leur chant, en s'élevant vers la voûte, devint puissant, implacable. Dans l'édifice, le père apostolique mimait fortement les mots latins et les gosses tentaient de se synchroniser harmonieusement.

 

Au dehors, le chant, transformé par l'épais mur de briques crues en un puissant murmure, prit une tournure étrange, sombre et triste. La jeune femme avait des larmes qui coulaient de ses yeux, du sang tachait son tee-shirt. Ses vêtements en désordre, déchirés par endroits, étaient souillés de traces de boue et d'hémoglobine mêlées.  

 

Arrivée à hauteur de la cabine, la jeune femme tira la porte, celle-ci résista. Elle tira plus fort et le panneau vitré céda avec peine. Emportée par sa rage de survie, elle se cogna contre le rebord de la tablette. Précipitamment, elle fouilla ses poches et en ressortit une pièce. La pièce eut à peine le temps de glisser dans la fente, qu’elle formula sur le clavier un numéro de téléphone. Essoufflée, désemparée, elle tentait de se reprendre. Après quatre trop longues sonneries, son correspondant répondit. De peur de manquer de force et de temps, elle balança sa phrase. Mais, une corne de brume d'un navire lui coupa sèchement la parole, rendant muette toute la scène. Blême, la jeune femme serra le combiné contre son oreille, comme on s'accroche à une bouée de sauvetage, maudissant le navire perturbateur.

 

— Allô, allô ???…

— Ouais ! Qui est en ligne ?

 

Malgré le coup de boutoir assourdissant, il y avait toujours quelqu’un en ligne. Elle se précipita, ses pensées déferlèrent dans son crâne en surchauffe. Par réflexe, elle remit une pièce dans le monnayeur.

 

Commandant Muller ?

— Lui-même ! mais perturbé par de la friture sur la ligne, il lança. C'est toi Gloria ? 

— Ecoutez- moi ! C'est urgent ! Je ne sais si… En tout cas, c'est pour aujourd'hui, à 14 heures trente… au lieu prévu. Vous m'entendez ?

— Oui, oui, marmonna-t-il.

— Au port, les jeunes vont récupérer la marchandise pour l’échange. Moi, je suis grillée… Faut que je me tire… ça urge, déclara-t-elle, en essuyant d’un revers de manche ses larmes de sang qui commençaient à troubler sa vue et sa perspicacité.

 

A l’autre bout du fil, le commandant Jürgen Muller nota l'info sur une feuille volante, puis tenta de la rassurer.

 

— Gloria, ça va aller ! Calme-toi, on va te mettre au vert pendant un temps et tout s'arrangera !

— Ils sont à ma poursuite, faut que je me tire ! hurla-t-elle, en fondant en larmes.

— Reste où tu es, tu comprends ? Ne bouge pas, on va venir te chercher.

 

Mais cela ne rassura pas la brune Gloria. Du coin de l'œil, elle vit un véhicule s’approcher lentement dans la rue et, en une fraction de seconde, elle avait tout compris. Alors que la voiture fonçait vers la cabine téléphonique, Gloria se mit à hurler :

 

— NOOOOON... !!!!

— Gloria ? … Allô, Gloria ?… s'égosilla Jürgen.

 

Pour toute réponse de sa collègue, Jürgen entendit une rafale, un cri aigu, qui agressa son oreille, et des bris de verre. Puis, le silence prit le relais, mettant à rude épreuve les nerfs du commandant. Il venait de tout comprendre, d’entrevoir l’image de sa complice de mission prise mortellement sous une rafale destructrice. Il eut un haut le cœur et, pâle, redéposa le combiné de téléphone sur son socle. Puis, détachant chaque mot de sa phrase, il informa les collègues autour de lui :

 

— Ils ont eu Gloria !

 

 

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24/11/2021
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