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Pauvre Blacky

PAUVRE BLACKY

 

C’était reparti ! Ils ne me laisseront jamais tranquille. Il y avait bien longtemps qu’ils ne m’avaient pas cassé les pieds. Mais là, pour moi, la fin était proche. Ils avaient décimé mes troupes. Ce n’est pas pour dire, je suis loin d’être un ange, mais encore une fois c’étaient eux qui, les premiers, avaient engagé les hostilités. Ils avaient envoyé leur sicilien d’entrée. Je ne pouvais pas rester sans réagir. J’ai riposté, en envoyant un de mes hommes en contre-attaque. Mais depuis, quelle débandade ! Toutes leurs opérations réussissaient, toutes mes ripostes tombaient à l’eau. Là, leurs sbires étaient à mes basques. Ils allaient me faire la peau et, pour eux, la peau d’un noir ne valait pas grand chose. Mais j’étais prêt à la vendre chère, je vous le promets chers visages pales.

 

Je les entendis arriver avec leurs gros sabots. Dans ce dédale de rues qui s’entrecroisaient, éclairées par de blafards néons ou baignées dans une pénombre d’encre, ils me pourchassaient. La nuit ne les gênait pas, ils ne lâchaient pas prise. Il me fallait fuir. Mais, avec la balle que j’avais dans la jambe, reliquat d’un ancien combat, je ne pouvais que me traîner, n’avançant que pas à pas.

 

A un coin de rue, je tombais sur Parker: un de mes hommes, un vrai dingue, fidèle, brave, mais dingue. Je savais qu’il s’envoyait en l’air avec les drogues les plus sauvages du coin. Mais, quand il y avait un coup dur, il était toujours là. Dans sa folie, il trouvait toujours une solution géniale pour sauver les membres de ma troupe et souvent ma petite personne. Là encore, fidèle à sa bravoure, il me supplia de fuir et de le laisser faire. Restons ensemble, lui ordonnais-je, mais il ne voulut rien entendre, il me bouscula pour me forcer à fuir.

 

Je traînais ma jambe péniblement un peu plus loin, laissant Parker se débrouiller avec ces pourris de blancs. Je venais de trouver une planque. Je ne savais pas si elle était valable, mais au moins, pour un temps, je serais à l’abri pour reprendre mon souffle.

 

Tapi dans cette planque, je n’avais plus aucune nouvelle de la bataille qui se déroulait entre mes hommes et les autres. Dans ma tête tout se brouillait. J’en venais même à insulter “L’Etre suprême” de m’avoir fait comme je suis, de cette couleur qui vous condamnait à être un éternel perdant, à être considéré comme un pestiféré. Rare était notre chance de sortir vivant de ces confrontations que provoquaient toujours les mal blanchis contre nous.

 

Je pris ma tête entre les mains, rêvant à un monde de paix pour nos deux peuples. Ce rêve était impossible, car le cauchemar existait depuis la nuit des temps. Je fouillai dans mes poches, pour dénicher mon dernier clope, j’y trouvai un paquet fripé de cigarettes et en pris une. Enfin une cigarette, le mot était un peu exagéré, en fin de compte ce n’était qu’un mégot. Mégot ou pas, il me fallait l’allumer. Je replongeai dans mes poches pour chercher un briquet, je n’en eus pas le temps: une flamme illumina mon visage. Elle était provoquée par le briquet de cette superbe donzelle à la peau blanche: Queenie.

 

J’avais, tant et tant de fois, espéré être seul une nuit avec elle, pour me la faire. Et là, elle était devant moi: belle, excitante, désirable, bandante et armée. Oui, armée ! Elle avait en main un joli petit joujou qui faisait de beaux trous dans la peau. Le sourire aux lèvres, elle retira sa main gauche, qui me fournissait du feu, et me présenta son flingue, sans équivoque. Je savais très bien ce qu’elle voulait faire. Elle resta là, devant moi, sans broncher, l’arme pointée vers moi. Je levai à peine les yeux pour entrevoir les siens. Ils étaient clairs et vifs, mais je ne les sentais pas agressifs. Il y avait en eux une certaine placidité, une neutralité maîtrisée toute artificielle qui était le reflet d’un conditionnement millénaire, d’un endoctrinement méthodique et efficace. Il fallait qu’elle tue, liquide, se débarrasse de l’ennemi héréditaire: le noir et elle allait le faire, sans aucun remord.

 

Queenie sembla hésiter. Dans un sursaut d’énergie, je me relevai et pris la fuite. Queenie n’eut pas le temps de réagir. Son tir atteignit le vide infini;  j’étais déjà loin. Cette salope était conditionnée, il n’y avait plus en elle une seule parcelle de sentiment humain. C’était devenu un véritable robot qui n’appréhendait même plus ce qu’elle pouvait dégager comme sensualité, ni prendre conscience qu’elle déchaînait, dans l’esprit des hommes qu’elle croisait, autant d’envies et de désirs; et peu importait, dans ces états d’âme là, la couleur de la peau.

 

Je ne devais plus penser à Queenie. Une seule issue: la fuite. Sur mon parcours, je tombai sur le cadavre de Parker. Il avait été liquidé par ceux d’en face. Le reste de ma troupe s’évertua à le ranger sur la touche. C’est à cet instant que je pus compter mes derniers hommes valides. Il n’en restait plus que quatre, la lutte était inégale. Certains voulurent se rendre: c’était lâche, mais compréhensible. Nous n’eûmes pas le temps d’y penser, car nous essuyâmes une rafale en règle. L’adversaire voulait notre mort à tous. Ce n’était plus du jeu, c’était un vrai massacre. Johnny tomba sous les balles des visages pâles. C’était un brave gars, un homme carré qui marchait droit, jamais un pas de travers, il ne savait pas.

 

En face, je les sentis de plus en plus déterminés à vouloir en finir. Queenie réapparut. Sadiquement, elle tira dans ma direction, sans me toucher. Elle me laissa m’enfuir, pour mieux s’occuper, avec ses complices, d’exterminer mes hommes. Ils se jetèrent sauvagement sur eux et n’en laissèrent aucun de vivant. Je voulus courir de toutes mes forces, mais ma jambe ne me le permettait pas. Pas à pas, je reculai péniblement. Queenie et sa troupe se mirent à ma poursuite.

 

Le destin s’acharna sur moi. J’arrivai dans un cul de sac, ils étaient tous derrière moi. Il n’y avait plus rien à faire. Dans un dernier élan de bravoure que je ne me connaissais pas en temps normal, je leur fis face. Les yeux de mes ennemis étaient aussi clairs et placides que ceux de Queenie. Ils allaient me tuer tout aussi calmement. L’éclair de feu déchira la nuit et, sans m’en rendre compte, j’étais déjà atteint par une de leurs balles.

 

La main de Dieu s’abattit sur moi et me fit vaciller. Je tombai sur le macadam froid. Mon Dieu abdiqua pour moi, tandis que son ennemi divin exprimait sa joie victorieuse par la phrase rituelle:

 

                 ECHEC ET MAT !

 

C’était presque toujours ainsi que se terminaient nos batailles entre blancs et noirs, sous l’arbitrage des Dieux. Ceux-ci nous remirent dans la boite, pour la durée d’un repos précaire, dans l’attente d’une autre et future confrontation. 

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19/07/2016
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