Sous la pleine lune, sous la belle plume (extrait du recueil à venir: "Nouvelles en vrac")
Sous la pleine lune, sous la belle plume
Ce soir-là, j’effectuais, pour les besoins de ma charge aux Eaux et Forêts, mon inspection nocturne hebdomadaire. La lune était basse, ronde et pleine comme une femelle gravide. Sa blancheur spectrale resplendissait dans la nuit et se reflétait dans le miroir d’un étang assagi. Aucune bise ne survenait pour rider sa surface, pas même la moindre petite brise pour provoquer quelques clapotis mélodieux.
Cet aspect n’émut pas le moins du monde un agnelet assoiffé et perdu. Sa soif étant la plus forte, il oublia toute raison, s’avança vers l’étang, daigna jeter un œil au reflet de l’astre nocturne, ignora le reposant tableau, approcha le museau de l’eau et, avec une allure hésitante, se mit à laper la dose de H2O nécessaire à son organisme. Il œuvrait lentement, appréciant chaque gorgée revitalisante, sans se soucier des dégâts qu’il causait à l’image de la lune blanche. L’astre lunatique se sentit sûrement bafoué et sa vengeance fut aussi violente que brutale. Du moins, c’est ainsi que j’interprétais ce qui suivit.
Dans un bruissement impressionnant, provenant du faîte des arbres voisins, une nuée de mammifères volant et piaillant s’abattit sur le frêle ovin étanché. De leurs crocs acérés, ils mordirent toutes les parties tendres de l’agneau et les accommodèrent à la sauce sanglante. La pauvre victime, assaillie de toutes parts, vaincue par le nombre, blessée par les effets cannibales de ses agresseurs, ne put faire aucun geste pour se protéger de leur hargne, ne put amorcer aucune course, entreprendre aucune fuite salvatrice. Terrassée par leur vengeance meurtrière, elle périt aussi rapidement que l’assaut des chauves-souris fut impétueux et ravageur.
Repus de sang, les justiciers de la lune disparurent et laissèrent le profanateur à l’abandon et son corps se vider d’un sang aussi rouge que la forêt était noire. Le ru pourpre glissa jusqu’aux abords de l’étang et, dans une harmonie démoniaque, se mêla aux reflets blanchâtres de la lune, reine d’un soir.
Impressionné par la mésaventure, je repris mon souffle et terminai ma ronde. Je me rendis de ce pas dans la chaumière que l’organisme royal m’allouait pour remplir mes tâches nocturnes. Toutes les images de l’incident s’entrechoquaient dans mon esprit perturbé et, ne voulant pas qu’elles disparaissent, je me mis tout de suite à ma table de travail. Sous le faible éclairage d’une chandelle, je transcrivis en mots et en lignes la mort du téméraire agnelet, en y apportant ma touche personnelle.
Mon mécène royal n’apprécierait sûrement pas la cruauté de vampires évanescents dès les lueurs de l’aube. Ces vils représentants du diable, dans une France très pieuse et catholique, pourraient troubler ses instants de loisirs et son esprit chrétien, choquer sa sensibilité et refréner sa générosité à mon égard. Alors, je me devais de trouver un autre prédateur, acteur de ce récit. Tant pis si la vérité en était changée, la légende prendrait le pas sur la véracité et la férocité; tant pis pour le nouveau héros que je choisirais, sa nature et ses descendants en seraient, à tout jamais, entachés d’une très mauvaise réputation.
Dans sa chaumière, l’homme travailla toute la nuit pour donner vie à ce conte où la mort et le sang s’associaient, sans vergogne, à la pureté d’un astre blanc, muet et complice. Sur la porte de la chaumière, une plaque de bois indiquait officiellement :
« Résidence allouée au chargé royal des Eaux et forêts : Monsieur Jean de